Brumeterre 3 - La Cobaye : 1ers chapitres offerts !

Prologue

Le tunnel béant ouvre sa gueule devant moi.
Je frissonne, debout sur le seuil, les membres presque raidis par la peur et le froid.
Je peux presque sentir les relents écœurants de son immense haleine fétide m’envelopper dans un cocon de puanteur gluante.
Presque.
Comme si tout cela existait vraiment.

Or, je sais que ce n’est qu’un rêve, non, que dis-je ! un cauchemar émanant des profondeurs ténébreuses de mon esprit.
Un bref instant, ma conscience lutte pour me tirer du sommeil. Je suis sur le point d’ouvrir les yeux…
Presque.
En dépit de mes efforts pour refaire surface, la lame de fond m’emporte, irrésistible, vers les visions d’horreur qui m’attendent avec avidité.

Ma résignation remplace ma peur. Je fais jouer mes muscles souples et solides, parés au combat. Mon sang brûlant embrase mon corps tout entier.
Et pourtant, j’ai de plus en plus froid. D’un froid impérieux qui ne quitte plus les tréfonds de mon cœur, ni la nuit… ni le jour.
Très bien. Puisque c’est comme ça, autant y aller avec panache !

— Hou hou, mes p’tits monstres, j’arrive et je vous préviens, je vais vous botter le cul !

Sur cette déclaration plus fracassante que poétique, je fais mon entrée dans le boyau répugnant.
Je marche crânement, aussi fière et décidée qu’une reine du R&B. Les talons vertigineux de mes cuissardes claquent sur le sol au rythme d’une folle chanson d’amour. Pour un peu, je ferais danser ma crinière de boucles !
Hélas, il n’y a pas de place pour la danse ou la musique, ici, et encore moins pour l’amour.
Loin des éclats des spots, une lueur tremblotante ose à peine éclairer l’atmosphère épaisse.
Loin des voix qui reprennent en chœur les paroles de leur idole, un chuchotis humide suinte sur les parois en longs filets baveux.
Loin de profiter de l’ambiance festive, je subis cette interminable progression dans une lugubre solitude.

Ah, voilà la première salle ! Celle-là, je l’ai visualisée en pleine conscience sous la franche brillance du soleil. J’ai analysé chaque séquence de l’événement qui va inévitablement se déclencher dès que j’aurai franchi la porte close qui me fait face en un étrange défi immobile. Je suis sûre de pouvoir garder mon calme et d’agir avec une froideur calculée…
Ou presque !
Soudain agacée, je fonce sur l’obstacle de bois irréel qui, surpris par ma brusquerie, n’a pas le temps de s’ouvrir avant d’éclater sous le choc. À peine suis-je passée de l’autre côté du chambranle que la porte intacte se referme derrière moi avec le sinistre grincement de rigueur. Toute la logique absurde d’un rêve !

— Bon allez, mon gars, je n’ai pas toute la nuit ! lancé-je abruptement à l’obscurité qui m’environne, encore plus épaisse et collante que dans le couloir.

Un grognement sourd me répond, puis le bruit d’une grande masse qui se déplace en faisant craquer ses os.
La peur tente de se frayer un chemin en moi, mais je la repousse d’un simple hochement d’épaules. À raison de deux à trois répétitions de ce cauchemar chaque nuit, j’en suis au moins à une douzaine. Douze fois la même chose ; ou peut-être treize. Le seul sentiment qui me reste, à part une angoisse diffuse que je ne peux pas maîtriser puisqu’elle fait partie du jeu, c’est de l’exaspération teintée d’une pointe d’autodérision. Non mais franchement, je croyais avoir plus d’imagination que ça !
Le disque rayé de ma cervelle endormie déroule fidèlement la saynète suivante.

La pénombre est presque totale, mais ma vue surdéveloppée distingue, dans le coin le plus sombre de la pièce, un corps de géant, à demi-nu, aux muscles saillants qui s’arrangent pour capter la moindre lumière afin de mettre en valeur leurs gonflements luisant d’une fine sueur.
Comme à chaque fois, je me dis qu’en d’autres circonstances, ce rêve aurait pris une tournure beaucoup, beaucoup plus chaude et palpitante. Hélas, je n’ai pas le choix. Ce corps-à-corps n’aura rien de sensuel. Je ricane : c’est peut-être cela, le vrai cauchemar, pour une demi-succube comme moi !

— Montre-moi ta sale gueule, qu’on en finisse !
Un nouveau grognement vient ponctuer ma futile provocation.
— Oh, pardon, je veux dire TES sales gueules !

Deux rayons de lumière surgissent du néant et se croisent pour illuminer le colosse, dévoilant soudain le haut de sa physionomie comme un coup de théâtre. Je crois que mon inconscient et moi, on aime un peu trop la mise en scène !
Ces projecteurs invisibles étalent au grand jour une particularité hideuse dont je me serais bien passée : au lieu d’une tête normale comme tout un chacun, le cou massif porte deux visages grimaçant de haine.
À droite, le visage aux traits anguleux d’un homme d’une trentaine d’années, surmonté d’une coupe en brosse de couleur châtain. On dirait une caricature de soldat, presque cartoonesque à force de mâchoires carrées et de tendons saillants.
À gauche, le visage libidineux d’un vieillard ridé aux poils blanchis sur le menton et le crâne. Je ne pourrais dire si son faciès exprime plus la perversité ou la colère, tant ces deux belles qualités y sont intriquées.
Je ne sais pas davantage quel souvenir douteux engendre dans mon esprit ce grotesque Janus aux deux faces diaboliques. D’ailleurs, pour être parfaitement honnête, je ne suis pas certaine de vouloir le découvrir !
En revanche, je connais parfaitement la suite des événements. Un combat bref, brutal, sanglant, et même franchement dégueulasse, dont je sors victorieuse mais couverte de sang et de débris de cervelles éclatées.
Pouark. Et pourtant, le pire est à venir…

Sans transition, je suis de retour dans le boyau sinueux. En route pour ma destination finale…
Le passage devient de plus en plus sombre et resserré. Les murs irréguliers frôlent ma peau, mes mèches rousses se collent dans la mélasse qui exsude du plafond. Tout ça va bientôt très mal finir pour moi, mais j’ai hâte que ça se termine.
Ça y est, ça commence. Le fier claquement de mes talons, déjà étouffé sur le sol devenu pâteux, se mue en un clapotis menaçant. Quant à mes hautes bottes, elles se sont mystérieusement transformées en petits bottillons qui ne couvrent plus que mes chevilles.
L’eau monte progressivement. Je la sens passer au-dessus de mes chaussures et couler jusqu’à mes pieds nus à l’intérieur. Puis le niveau atteint mes mollets, mes genoux, toujours plus haut à l’assaut de ma chair frissonnante.
Ce n’est pas le froid qui me fait trembler autant. Pas seulement le froid. La peur que j’avais si résolument expulsée a fait son grand retour. Elle s’établit désormais comme la maîtresse incontestée de mon âme, écrasant toute velléité de rébellion. J’ai su contrôler mes sentiments avec facilité pour le premier combat, au bout de deux ou trois répétitions ; il ne m’en reste qu’un vague dégoût. En revanche, le moindre contact avec cette eau si froide chasse tout mon courage en un instant, sans que je puisse lutter en dépit de mes vaines tentatives.
Elle aspire ma chaleur vitale au fur et à mesure qu’elle engloutit mes jambes, mes fesses, ma taille. Quand elle recouvre ma poitrine, j’ai l’impression que mon sang gelé se fige dans mes veines.
Et ce n’est toujours pas le pire…

Ça y est, j’ai senti la première blessure ! Ma fin est toute proche à présent. Une fin ignoble qui m’emplit d’une pure terreur. Je voudrais tant me retourner, ressortir de cette onde mortelle, quitter ce tunnel infâme ! Mais je suis contrainte à continuer ma lente progression…
Aïe, deuxième estafilade ! Partout autour de moi, les flots d’ombre charrient des langues de glace aux arêtes tranchantes. Elles entament douloureusement ma peau dès que je les effleure.
Les plaies deviennent plus profondes à chaque nouveau contact. Mon sang jaillit maintenant par des dizaines de balafres, se mêle à l’eau glacée.
Seule ma tête surnage encore. Je hoquette et sanglote en gémissements déchirants. Que quelqu’un ait pitié de moi et me vienne en aide !

Là, comme un miracle, comme un mirage, une main se tend vers moi. La reconnaissance envahit instantanément tout mon être, mais cela ne va pas durer…
Je m’efforce de lever mon bras percé de trous sanguinolents, de l’arracher à la gangue pétrifiante qui m’enserre de toutes parts. L’espoir qui me saisit broie mes pensées, réduit ma logique en poussière. Je n’ai aucune chance mais j’y crois si intensément !

Mais avant que j’aie achevé mon geste pathétique, la main salvatrice avance brusquement et vient se poser sur mon crâne avec une douceur trompeuse et une force gigantesque. Elle appuie violemment sur ma tête pour l’enfoncer dans l’opacité glaciale.
Aussitôt, mon fol espoir se transmute en un désespoir plus absolu encore.
J’essaye de retenir ma respiration. Je me débats furieusement. Rien à faire. Il est trop tard pour moi. Trop tard pour tout !

L’eau s’engouffre dans mon nez, dans ma bouche, dans ma gorge, dans ma trachée, dans mes poumons. Une multitude de cristaux de glace tranchent mes chairs à l’extérieur et à l’intérieur de mon corps.

Le froid me brûle dans un maelstrom de douleur atroce qui m’entraîne vers le néant…

1. La fin du cauchemar…

Ember se réveilla en sursaut, aspirant goulûment l’air tiède de cette fin d’été niçoise, couverte d’une sueur glacée. Encore le même cauchemar qui la hantait toutes les nuits depuis son retour sur Terre et son installation chez Séraphine !
Il faut dire que depuis cette date, elle se sentait ballottée par le flux d’un destin qui décidait pratiquement tout à sa place. Non, c’était plus ancien que cela. Depuis que son amie avait été capturée par les sbires de son ennemi, puis grièvement blessée d’une balle dans la tête par l’un d’entre eux, la pulpeuse rouquine n’était plus la maîtresse de sa destinée. Quelle ironie pour une femme qui, derrière l’écran de son blog à la mode, s’ingéniait depuis des années à redresser des torts et à punir des abus sexuels, tellement fière de ses plans de vengeresse cachée qu’elle s’était baptisée « Karma » !
À force de ne plus rien contrôler, elle avait même fini par être à son tour victime de sévices littéralement inhumains, peu de temps avant de quitter le monde étrange de Brumeterre. Ironie là encore : elle qui espérait retrouver les traces de sa famille, elle avait découvert que son bourreau, un prince incube, n’était autre que… son oncle ! Certes, il ignorait tout de son existence, mais cela lui avait quand même fait un sacré choc ! Autre choc : sa mère succube, une certaine Carmen, la jumelle du prince, était morte assassinée des années plus tôt et, cerise sur le gâteau, elle n’avait a priori jamais eu d’enfant. Au lieu de s’éclaircir, le mystère de ses origines s’épaississait à vue d’œil.
Et voilà qu’en prime, ses souvenirs perdus depuis six ans revenaient frapper à la porte de sa mémoire sous la forme de ces épouvantables cauchemars qui se succédaient immuablement, nuit après nuit. Ember soupçonnait qu’ils recelaient des indices sur son passé et les causes de l’amnésie qui avait effacé les plus ou moins vingt-cinq à trente premières années de sa vie. De toute évidence, le corps aux deux têtes devait avoir un sens caché. Quant à l’eau dans laquelle elle manquait de périr juste avant de se réveiller, elle faisait probablement écho à ce fleuve où elle s’était réveillée, blessée et misérable, ce jour d’été.
Mais qui étaient ces deux hommes, le jeune à l’air militaire et le vieux à l’air lubrique ? Pourquoi partageaient-ils le même corps d’athlète au format XXL ? À qui était la main si fine et si puissante qui, au lieu de la secourir, tentait de la noyer ? Comment se faisait-il que l’eau soit si froide, charriant ces blocs de glace affûtés, alors que sa quasi-noyade avait eu lieu dans la touffeur estivale ? Et qu’est-ce que c’était que ce couloir interminable qui…

Houlà, stop, je vais encore me taper une de ces foutues migraines à force de me poser toutes ces questions sans réponse !

En guise de prévention, Ember attrapa un tube d’aspirine sur sa table de nuit et en avala quelques comprimés d’un geste machinal. D’ordinaire, c’est quand elle employait trop ses pouvoirs de demi-succube que les maux de tête venaient interpréter les tambours du Bronx dans son crâne, mais ces affreux cauchemars où elle luttait désespérément pour sa survie avaient tendance à provoquer le même effet. Cela faisait bien douze ou treize fois qu’ils dévastaient ses nuits. Résultat : la fatigue se cramponnait à elle comme une sangsue. Comme si sa lente guérison après sa séance de torture ne suffisait pas à l’épuiser !
Il faut dire qu’après l’acharnement de Girolamo, son « oncle potentiel » qui l’avait pratiquement laissée pour morte, la demi-humaine n’arrivait plus à utiliser ses dons surhumains pour accélérer le processus de récupération de son corps martyrisé. Le « déchireur de succube », immonde appareil de torture intime, n’avait pas causé que des blessures physiques. Psychologiquement, elle avait été brisée exactement là d’où elle tirait ordinairement sa force. Elle ne parvenait même plus à fantasmer ni à se donner du plaisir par ses propres moyens. Or, sa moitié succube se nourrissait de sa jouissance – et de celle de ses éventuels partenaires. Elle s’en servait comme carburant pour exprimer ses talents particuliers, dont la cicatrisation expresse était l’une des manifestations les plus remarquables.
Ember éprouvait un sentiment ambigu envers ce soudain handicap. D’un côté, ce blocage mental était bien naturel après les épreuves qu’elle venait de traverser ; de l’autre côté, cette impuissance faisait naître en elle une très inhabituelle honte. De ce fait, elle s’efforçait de cacher la vérité sur son état, afin de ne pas étaler son insupportable faiblesse au grand jour. Elle faisait comme si tout allait bien, elle prenait sur elle et elle ne disait rien du tout.

Tout à coup, le danger de sa situation lui sauta aux yeux ! Porter un masque de force afin de cacher ses failles, c’était l’un des meilleurs moyens pour sombrer dans un autre genre d’engloutissement : la dépression !
Ses vieux réflexes de mercenaire s’enclenchèrent en mode automatique dès que ce nouvel ennemi fut identifié. Presque malgré elle, Ember se mit à réfléchir à un plan pour se sortir de cette pente glissante. Cette perte de maîtrise de sa vie devait finir avant qu’il soit trop tard !
Pour résister, elle disposait d’atouts de choix : ses amis. Eux aussi avaient été malmenés par les caprices du destin. Séraphine n’avait été sauvée que de justesse par l’ingestion d’une Larmange, sorte de panacée universelle à la rareté extrême. Quant à Jareth, le géant antillais qui avait traversé le Pont entre les mondes en compagnie d’Ember, il avait d’abord renoncé à une part de son humanité en devenant un léopard-garou noir, puis il avait perdu la capacité de se métamorphoser en rentrant sur Terre, là où la théurgie – le nom brumeterrien de la magie – était trop infime pour qu’il puisse incarner son sublime animal totem.
C’était une grande chance pour Ember que de disposer de deux amis si fabuleux. Ce qui serait vraiment honteux de sa part, c’est de ne pas profiter de leur amitié et de leur écoute bienveillante. Elle était sûre qu’ils lui prodigueraient d’excellents conseils lorsqu’elle leur aurait raconté ses récentes mésaventures intérieures. Avec leur soutien, nul doute que ses forces reviendraient face à ses démons !
D’ailleurs, ils n’étaient pas les seuls auprès de qui elle pourrait utilement se confier. Il y avait aussi Hémon Vedmack, le propriétaire de la boutique « La magie secrète de la Côte d’Azur » près du centre-ville de Nice, qui leur avait permis de rallier l’autre-monde et d’y dénicher le remède dont Séraphine avait tant besoin. Le demi-stryge avait une sagesse forgée par l’expérience, mais aussi une intéressante connaissance de multiples grimoires. Il connaîtrait peut-être une potion ou un rituel capables d’améliorer l’état d’Ember.
Et si cela ne suffisait pas, d’autres alliés de marque seraient prêts à lui prêter main-forte : Tirésia de Thêbaï, la Première Oracle âgée de plus de trois mille six cents ans, Auxil Karone le Passeur aux yeux d’argent, ou encore la succube Juane et le gnome Ningish, un soigneur réputé qui affectionnait les cas complexes.

Non, décidément, il ne sortirait rien de bon si Ember s’acharnait à garder le silence derrière une façade mensongère. C’était une erreur de son esprit un temps égaré, de croire que son entourage critiquerait ses faiblesses mises au grand jour. Elle avait su s’entourer de personnes au grand cœur et à l’esprit ouvert ; peu de gens avaient cette chance !
Cela lui rappela les tristes mais justes paroles du malheureux acteur Robin Williams : « Les gens ne font pas semblant d’être déprimés. Ils font semblant que tout va bien. Souvenez-vous de ça. »
Après avoir pris la décision de discuter de tout ça dès que le jour se lèverait, Ember se sentit viscéralement apaisée. Elle pouvait se rendormir tranquillement, elle en était convaincue.
— Il n’y aura pas de quatorzième fois ! déclara-t-elle à mi-voix juste avant de fermer les yeux.
Elle était peut-être convaincue elle-même, mais il était plus prudent d’en convaincre son inconscient !
Effectivement, le reste de la nuit se déroula sans accroc.

Quelques heures plus tard, attablée avec ses deux inséparables amis devant le superbe déjeuner aux saveurs caribéennes concocté par Jareth qui, en plus de ses talents de photographe professionnel, était un véritable cordon-bleu, Ember leur relata donc ses errances nocturnes et ses craintes intimes.
Comme elle l’espérait, elle reçut de leur part un franc soutien, une bienveillance totale et un certain nombre de théories plus ou moins crédibles sur la signification de son rêve répétitif. Jareth s’étonna d’ailleurs que son déroulement soit exactement identique, alors que l’attitude d’Ember pouvait changer, comme c’était le cas pour le combat contre ce bizarre type à deux têtes.
— Ça ne ressemble pas à un rêve naturel. On dirait que tu vis une sorte de projection interne, comme une cinématique de jeu vidéo où tu serais une joueuse alors que les autres ne sont que des PNJ émanant d’un programme immuable.
— La comparaison me paraît juste, en effet, mais comment est-ce possible ? Mon cerveau n’est pas un processeur de jeu vidéo, à ce que je sache !
— Non, bien sûr, mais tu as peut-être subi des expériences psychiques qui t’ont laissé des traces malgré ton amnésie, comme si quelqu’un t’avait fait un genre de lavage de cerveau.
— Mais c’est horrible ! Pourquoi quelqu’un aurait-il fait un truc pareil à Ember ?
— Eh bien, elle est dotée de pouvoirs spéciaux qui peuvent faire des envieux. Cela pourrait attiser les appétits d’un apprenti sorcier avide de tels pouvoirs.
— Tu penses à ce fameux « Félon » qui a tué et, selon toute vraisemblance, qui m’a tatoué ces deux motifs bizarres dans le dos ?
Ses omoplates s’ornaient en effet de deux curieux tatouages dont le sens lui avait échappé jusque-là. À gauche, une sorte de double hélice d’ADN avec un symbole «  » au centre. À droite, une forme de goutte encadrée de deux petites ailes, au sein de laquelle deux lettres étaient inscrites : « CI ». d’après les déclarations de Girolamo lors de sa terrifiante crise de folie, ce pourrait être une Larmange avec les initiales d’Igor et de Carmen.

Jareth hocha pensivement la tête.
— Oui, c’est bien cela. Ce serait une sacrée coïncidence si tes tatouages n’avaient rien à voir avec ce sinistre personnage, alors que Girolamo a formellement identifié l’un des deux. Ce serait le symbole d’une entité nommée « Altérité », ou quelque chose comme ça…
— Alterra, rectifia Ember. J’ai écumé le web et le dark web à la recherche de ce nom, mais je n’ai rien découvert de probant. Je n’ai pas eu plus de succès en essayant d’y associer le prénom Igor, puisque c’est comme ça que ce « Félon » a dit s’appeler quand il a infiltré le domaine de Singal pour voler la Larmange de Carmen. J’ai même essayé en utilisant mon propre prénom, puisqu’il était gravé sur le collier métallique que je portais après mon amnésie, mais aucun résultat non plus !
Pour ponctuer ses paroles, Ember sortit de son sac une sorte de torque de métal argenté épais de deux bons centimètres, où son prénom était effectivement gravé sur le devant.
— Cette espèce de collier de chien garde fidèlement ses secrets ! s’exclama-t-elle amèrement.
— Pourquoi l’appelles-tu ainsi ? C’est peut-être simplement l’équivalent d’un badge permettant à d’autres personnes de connaître ton nom, suggéra Séraphine.
— Tu as toujours des idées positives, contrairement à moi. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait cette comparaison, mais j’ai l’intuition que je suis proche de la vérité en considérant cela comme un collier de chien. C’est un peu comme dans ce cauchemar, où je me sens comme un petit toutou devant obéir bien sagement à ce que d’autres ont décidé pour moi. C’est peut-être mon instinct, ou peut-être seulement ma mauvaise humeur à force de mal dormir, mais je ne ressens rien de bon en provenance de mon passé. Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux que tout cela reste dans l’oubli ! Et puis, dans sa Vision d’oracle, Tirésia n’a vu aucune rencontre future avec cet Igor, qui qu’il soit en réalité. Je crains donc que nos efforts soient vains.
— Non, pas question de renoncer aussi vite ! s’emporta soudain Séraphine, à la surprise des deux autres.
Son visage d’ange s’empourpra, faisant ressortir l’azur limpide de ses yeux et la blondeur délicate de sa chevelure relevée en un charmant chignon d’où s’échappaient quelques mèches folâtres. Elle reprit plus posément.
— Vous êtes allés jusqu’au bout du monde, et même au-delà, pour trouver un moyen de me sauver alors que vos chances de réussir étaient infimes. Je veux en faire autant pour toi, Ember. Si tu n’as pas envie d’en savoir plus, je peux le comprendre. Ce doit être très dur d’ignorer ce qu’on a pu faire dans son passé, et de craindre d’avoir commis le pire en compagnie de gens peu recommandables. Je n’ose même pas imaginer ce que tu dois ressentir ! Mais moi, je veux savoir si ce passé risque de menacer ton présent ou ton futur.
— Moi aussi, renchérit aussitôt Jareth. Je n’ai aucune envie de revivre la folie furieuse de ce taré de Girolamo, quand il a voulu se venger de toi en l’accusant d’être une complice du salaud qui a tué sa sœur et plusieurs de leurs amis !
Émue, Ember soupira avec une résignation exagérée. Dans ses rêves comme dans sa vie, elle ne pouvait pas lutter contre ce petit côté théâtral, qui l’amusait et lui servait aussi de bouclier pour ne pas trop exposer ses émotions les plus vives.
— D’accord, très bien, vous avez gagné. Je ne peux rien vous refuser, de toute façon ! C’est promis, je vais élaborer sérieusement un plan pour essayer de percer le mystère qui entoure mes jeunes années.
Jareth et Séraphine l’embrassèrent avec confiance. Ils savaient que quand leur amie faisait une promesse, elle la tenait absolument toujours.

Ce qui, en y réfléchissant, était une particularité tout à fait déroutante chez une femme qui n’hésitait pas à se montrer roublarde et manipulatrice quand la situation l’exigeait.
Était-ce encore une étrange manifestation de son passé perdu ?

2. …ou le commencement ?

Le déjeuner fut expédié aussi rapidement que possible, tout en profitant quand même de ses saveurs exotiques. Pour Ember, la nourriture était presque aussi sacrée que l’un de ses fameuses promesses !
Séraphine annonça qu’elle allait préparer une grande quantité de café bien corsé, en vue de l’après-midi studieuse qui les attendait. La rouquine s’en étonna.
— Je vous ai dit que j’allais me mettre sérieusement à l’élaboration d’un plan ; vous voulez me surveiller ?
— Pas du tout, voyons !
— Ce qu’on veut, c’est contribuer !
— Eh oui, il va falloir t’y faire, ma petite Ember : tu n’as plus à agir en solitaire, désormais. On forme une équipe !
— Vous êtes si… Je…
— Incroyable, regarde, Séraphine ! On a réussi à lui couper la parole !
— Ne te moque pas, Jareth ! Toi aussi, tu es du genre à avoir facilement la larme à l’œil !
— Comme si ce n’était pas pareil pour toi !
— Oui, bon, allez, ne perdons pas plus de temps, feignit de grommeler Ember pour reprendre ses esprits. Tu as du papier et des stylos, Séraphine ?
— Demande à Jareth de te montrer tout ce dont tu as besoin, pendant que je m’occupe du café. Il connaît parfaitement les lieux, étant donné que c’est lui qui s’est occupé de presque tout quand j’ai emménagé ici.

Avant de sélectionner le matériel requis, les deux comparses lavèrent la vaisselle en hâte. Ils furent tellement efficaces que le café n’avait pas encore fini de couler ni Séraphine de préparer le plateau avec sucre, chocolats et petits biscuits, quand ils revinrent au salon afin d’y trouver les fournitures jugées utiles par Ember. Ce n’était rien de très compliqué : quelques feuilles, quelques stylos et feutres de plusieurs couleurs, un triple décimètre qui devait dater de la scolarité de Séraphine puisque son nom était scrupuleusement noté sur une étiquette.
— Je sais que ça a l’air un peu désuet, reconnut Ember lorsque ses amis eurent pris place autour de la table. Vous savez que j’aime traîner sur le web plus ou moins légal, mais quand je dois réfléchir à un nouveau plan, je trouve que rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes. Une feuille blanche est un excellent support de réflexion, surtout pour le petit exercice auquel nous allons nous livrer.
— C’est si excitant de voir comment tu travailles, Ember ! s’exclama Séraphine en battant des mains comme une fillette enthousiaste.
Évidemment, quand elle s’aperçut que les deux autres la regardaient en souriant, elle piqua un de ces fards attendrissants qui rosissaient si souvent la courbe douce de ses joues.
— Tu es si mignonne, tu sais ! Enfin, je ne sais pas si vous allez trouver cela « excitant » bien longtemps. Ça pourrait vite vous sembler rébarbatif…
— Allez, trêve de suspense, lâche le morceau. Que devons-nous faire avec ces feuilles et ces crayons ? Pas un joli dessin, je suppose !
— Tu supposes bien, Jareth. On va lister tous les éléments qui pourraient avoir un lien avec mon passé et mes capacités non humaines. Même si un détail vous paraît sans importance, ou un peu idiot, écrivez-le. Ensuite, quand on aura terminé, on lira chacun notre tour ce qu’on aura écrit, et on en tirera toutes les pistes de recherche qu’on pourra. Et surtout, si jamais quelque chose d’autre vous vient en cours de route ou plus tard dans la journée, voire dans les jours à venir, n’hésitez pas à le signaler. Ah, j’oubliais : sentez-vous libres de faire des associations entre les éléments de la liste, avec des flèches, des mots entourés en couleur ou que sais-je d’autre. C’est généralement un très bon moyen pour faire émerger d’autres idées. Voilà, c’est tout… Bon courage pour cet exercice fastidieux !
— Oh, ça ne me paraît pas vraiment fastidieux, à première vue. C’est un peu comme ça que je travaille, d’ailleurs, quand je crée un nouveau livre illustré pour enfants.
— Eh bien moi, j’avoue que je suis content de voir que tu as préparé un grand thermos de café !

Pourtant, contrairement à ce qu’il pressentait, Jareth ne s’ennuya pas en élaborant sa liste. Il y consacra deux pleines pages couvertes de ratures, de flèches en tout genre, de code couleur plus ou moins compréhensible. Constatant qu’il allait avoir du mal à s’y retrouver dans ce bazar, il décida de tout recopier au propre, appliqué comme un écolier consciencieux.
— Pour un peu, tu sortirais ta langue sous l’effort, pouffa gentiment Séraphine. J’ai l’impression d’être revenue des années en arrière, quand nous étions à l’école ensemble.
— C’est un peu ça ! C’est que moi, je ne fais plus ce genre de choses depuis des lustres ! Je note quasiment tout dans mon téléphone : agenda, adresse des clients, etc. Et pour le reste, la facturation notamment, je me sers exclusivement de mon ordinateur. Je ne me souviens plus depuis quand je n’ai pas écrit autant. C’est bien possible que ce soit depuis la fin de mes études, il y a une bonne douzaine d’années ! Mais j’ai dans l’idée de me mettre à la calligraphie, prochainement.
— Tu es tombé amoureux des étiquettes d’Hémon ? le taquina Ember.
— Disons cela, si tu veux. C’est vrai qu’elles sont magnifiques !
— Oui, je les admire aussi quand je vais dans sa boutique acheter de l’encens ou d’autres babioles, renchérit Séraphine.
Après cette brève interruption et quelques nouvelles tasses de café, les trois complices estimèrent qu’ils avaient noté tout ce qui leur passait par la tête, à moins d’un oubli qu’ils veilleraient à corriger au plus tôt.

Au bout d’environ une heure et demie de ce labeur, Ember vit que plus personne ne se servait de son stylo sinon pour l’agiter dans le vide en essayant de se creuser la cervelle. Elle proposa de prendre une pause et de sortir un moment pour se changer les idées. Elle soutint que c’était essentiel afin de prendre du recul et d’avoir plus aisément une vision d’ensemble à leur retour.
Ils partirent donc se promener sur la Promenade des Anglais, toute proche du domicile de Séraphine, où la foule commençait à être moins dense en ces derniers jours d’août.
La chaleur du milieu de l’après-midi était rafraîchie par une agréable brise marine. Dans le lointain, vers les terres, une poignée de nuages s’était donné rendez-vous. Leur parure de gris sombre évoquait un possible orage de fin de journée, assez habituel à cette période de l’année.
Ils avaient eu largement de quoi se restaurer le midi, sans parler des petites douceurs accompagnant le café, mais Séraphine et Jareth ne furent pas surpris de voir le regard gourmand d’Ember aux vitrines de toutes les enseignes proposant des spécialités à emporter. Depuis qu’ils la connaissaient, ils s’étaient accoutumés à son appétit plus qu’humain. À Brumeterre, elle avait découvert que c’était un trait caractéristique des succubes. Les repas du château de Singal étaient réputés pour leur abondance !
Ember ne tarda pas à céder à la tentation, devant un étal proposant d’odorantes tourtes de blettes aux pignons, pommes et raisins secs, à côté d’un véritable monticule de ganses et d’une pyramide de fougassettes à la fleur d’oranger. Ce n’était pas son genre de choisir entre plusieurs plaisirs, aussi ses bras se retrouvèrent-ils chargés d’un gros sac plein de toutes ces merveilles. Elle s’empressa de proposer à ses amis de piocher dedans de bon cœur. Sa gourmandise était indissociable de sa générosité, car elle aimait partager les bonnes choses de la vie.
Séraphine, prétextant que sa petite taille allait de pair avec son appétit, n’accepta qu’un petit morceau de fougassette. Jareth et ses deux mètres de muscles s’emparèrent sans peur d’une part de chaque.
— Il en restera largement pour demain matin, comme ça, tu pourras goûter le reste, Séraphine, se réjouit Ember.
— Tu sais, j’ai déjà eu l’occasion de passer par ici et d’acheter les délices de cette boutique.
— Je n’en doute pas, mais c’est agréable aussi d’anticiper les plaisirs qu’on connaît déjà.
En matière de plaisirs, la demi-succube était imbattable ; ses compagnons ne la contredirent donc pas.

Après cette pause récréative et gustative, ils reprirent le chemin de l’appartement de Séraphine d’un cœur léger. Cette sortie leur avait effectivement permis de s’aérer la tête.
En rentrant, l’hôtesse attentionnée s’affaira à préparer du thé. Elle opta pour une version riche en menthe et additionnée d’une pointe de verveine afin d’aider à la digestion, quoiqu’elle doutât que les deux « estomacs sur pattes » en aient réellement besoin.
Quand tout le monde fut attablé avec sa tasse fumante, Ember reprit la direction des opérations.
— Je vais lire ce que j’ai noté sur ma fiche. S’il y a des choses que vous avez écrites aussi, barrez-les ou cochez-les au fur et à mesure. Ce sera plus simple pour recenser les différences.
La plupart des éléments étaient communs entre les trois listes. C’était normal et Ember s’y attendait. Tous savaient qu’elle était en partie succube, qu’elle pouvait utiliser ses pouvoirs grâce à l’énergie sexuelle qu’elle accumulait généralement avec des amants et amantes de passage, ou encore grâce aux aliments qu’elle pouvait ingérer en quantité astronomique. Il en allait de même pour les principaux épisodes de son passé : ses missions discrètes de mercenaire, l’assassinat de Willy et la vengeance qui avait suivi, sa quête à Brumeterre et son agression sauvage par son prétendu oncle incube, etc.
Ember ajouta qu’elle avait également des compétences en informatique dont elle ignorait l’origine ; elles trouvaient donc sans doute racine dans la partie inaccessible de sa mémoire.
Enfin, elle mentionna une découverte toute récente, qu’elle avait apprise grâce à Juane. La succube avait déclaré qu’elle avait des pouvoirs d’élémentaire de feu, sinon elle se serait brûlée au contact du pelage enflammé du mouflion Ōkou qui était devenu sa monture de prédilection. Certes, Ember ne savait pas ce qu’était un élémentaire de feu ni quels étaient ses éventuels dons particuliers, mais c’était une piste potentiellement intéressante à explorer.

Séraphine avait inscrit un autre fait distinctif : Ember avait une aura d’une brillance extraordinaire. Elle ignorait d’où lui provenait ce don de perception extrasensoriel, mais elle l’avait toujours eu. Elle avait également mentionné que deux autres personnes de sa connaissance avaient une aura aussi lumineuse : Hémon et un inconnu croisé à quelques reprises, les premières semaines après l’arrivée d’Ember à Nice. Elle se rappela qu’un soir, en l’apercevant à l’arrêt de bus à côté de l’espace de coworking, elle lui avait fait un signe comme si elle le connaissait. Il avait alors sauté dans le premier bus et elle ne l’avait plus jamais revu depuis.
— J’ai été sotte de me faire remarquer ainsi, déplora-t-elle, la tête basse.
— Ne dis pas cela ! Tu as été emportée par un élan de ton cœur, c’est tout. C’est d’ailleurs ce qui fait ton charme, entre autres.
Inévitablement, les adorables pommettes de l’incriminée se teintèrent d’un rose délicat.
— Quoi qu’il en soit, tu fais bien de nous remémorer cet incident bizarre. Ce type n’est peut-être pas étranger à notre affaire. En fait, maintenant que j’y pense, j’ai quelquefois eu la sensation d’être suivie ou observée, ces derniers temps. J’avais mis ça sur le compte de la trop grande méfiance, mais il est possible que j’aie eu tort. Je me souviens de cette fois où j’avais planqué mon téléphone sur une colline à l’écart, au milieu de broussailles sèches et griffues, afin d’interroger Gary Lawman tout en étant géolocalisée à plusieurs kilomètres de là. Le lendemain, j’ai même rédigé un article sur mon blog en disant que je me préparais à la fameuse nuit des étoiles filantes. Mais en fait, quand je suis allée récupérer mon téléphone le lendemain matin, il n’était plus tout à fait au même endroit. Je me suis dit que j’avais dû mal retenir l’endroit exact, ou qu’une bête avait pu le déplacer un peu pendant la nuit, puis ça m’est sorti de la tête. Il faut dire qu’on a eu des choses autrement plus graves à penser, les jours suivants !
— Tu crois vraiment que tu es suivie de cette façon depuis des semaines, par le type à l’aura que Séraphine a vu ?
— C’est très inquiétant…
— Ne t’en fais pas, Séraphine. Si ce type me colle effectivement aux basques, il risque d’avoir une mauvaise surprise, maintenant que je vais mieux surveiller mes arrières. Vous voyez, quand je vous disais que cet exercice serait fructueux : on a déjà une piste non négligeable à explorer.
— Tu penses que cette personne sait des choses sur ton passé ?
— Si cette personne me suit avec tant de discrétion depuis que je suis arrivée à Nice, voire avant, c’est assez probable. Ça ne peut pas être quelqu’un lié à Darrel Siegel puisqu’à ce moment-là, il ne pouvait pas savoir que j’avais l’intention de m’en prendre à lui. De plus, l’aura spéciale que voit Séraphine semble être liée à la magie. Hémon est à moitié stryge et moi à moitié succube ; deux créatures théurgiques qui ont la particularité de pouvoir utiliser leurs dons sur Terre.
— Ça veut dire que mon aura n’a pas changé depuis que je suis devenu un métamorphe ?
En posant cette question, Jareth se tourna avec empressement vers Séraphine. Celle-ci le regarda fixement pendant un long moment avant de répondre, à nouveau saisie par l’émotion et la gêne.
— Excuse-moi, Jareth, mais je ne peux pas te répondre. Depuis que je suis sortie du coma, les auras sont presque imperceptibles. Même celle d’Ember brille à peine. Au début, je ne les voyais plus du tout, mais on dirait que c’est en train de revenir petit à petit. Je ne sais pas pourquoi ça me fait ça, je suis désolée de…
— Ne t’excuse pas encore une fois pour quelque chose dont tu n’as pas responsable, l’interrompit doucement Ember. N’oublie pas que tu as pris une balle dans la tête et que cela a engendré de très graves lésions cérébrales ! La Larmange t’a guérie d’un seul coup, c’est vrai, mais ce n’est pas étonnant que tout cela perturbe tes capacités magiques.
— Magiques ? Oh, Ember, je ne suis pas sûre que ce soit magique. C’est peut-être un peu bizarre de percevoir les auras, mais je fais ça tout naturellement, sans y penser !
— Bien sûr, exactement comme moi, je me sers de mes capacités magiques. C’est un truc qu’on a tendance à rabâcher sur Terre, de prétendre que la magie ne serait pas naturelle, mais franchement, c’est de la foutaise ! Quoi de plus naturel, quand c’est notre propre nature ?
— Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle, mais maintenant que tu le dis, ça me semble évident à moi aussi. Ça me fait tout drôle d’être une sorte de créature magique, moi aussi, même si je n’ai pas des pouvoirs incroyables comme les tiens !
— Tu n’en sais rien, puisque la très faible théurgie ambiante de ce monde empêche la plupart des capacités magiques de s’exprimer. Qui sait ce que tu seras capable de faire, quand on ira à Brumeterre tous ensemble ?
Un silence rêveur passa tandis que chacun des trois amis laissait son imagination s’envoler…

Ember s’ébroua pour chasser ces pensées inutiles à l’heure actuelle.
— À ton tour, Jareth. As-tu noté autre chose que ce que nous avons déjà listé ?
— Une seule chose : la Reine d’Argent.
— Qui c’est, celle-là ? s’étonna Séraphine.
— Aucune idée, soupira le géant. C’est une femme contre laquelle Hémon m’a discrètement mis en garde juste avant qu’on traverse Pont-Sud vers Brumeterre. Il a dit qu’un de ses amis recommandait absolument à Ember de rester à distance de cette mystérieuse Reine, mais c’est tout. Vous connaissez son goût du secret, surtout pour tout ce qui touche à ses affaires occultes.
— Eh bien voilà ! s’écria soudain Ember en tapant du poing sur la table.
Séraphine et Jareth sursautèrent avec un parfait accord et la regardèrent avec les mêmes yeux en billes de loto. Qu’est-ce qui lui prenait de crier comme ça ?
— Oups, je m’emporte, désolée ! Je veux dire que ça y est, on sait par où commencer notre enquête. Il est grand temps de faire lâcher le morceau à ce bon vieil Hémon. Le temps des cachotteries est révolu, qu’il le veuille ou non !

Elle avait prononcé ces paroles sur un ton léger, comme si ce n’était qu’une formalité, mais ses amis ne s’y trompèrent pas. La petite lueur au fond de ses prunelles d’émeraude pouvait rapidement étinceler de façon menaçante si sa volonté était contrariée…

Pour lire la suite, il te faudra encore patienter un peu.
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